« Tant qu’une prisonnière résiste, elle reste libre »
À l’été 1982, derrière les murs oppressants de la prison de Dizel Abad à Kermanchah, en Iran, huit jeunes femmes ont orchestré l’une des évasions les plus audacieuses de l’histoire du pays.
La prison de Dizel Abad n’était pas une simple détention. C’était un outil de terreur, conçu pour briser les esprits. Dirigée par le régime théocratique iranien, cette prison était tristement célèbre pour sa brutalité, en particulier envers les femmes prisonnières politiques, souvent affiliées à l’Organisation des Moudjahidines du Peuple d’Iran (OMPI). Les gardiens de Dizel Abad étaient si redoutés qu’ils étaient parfois envoyés dans d’autres villes pour « mater » les prisonniers.

Entourée de murs de neuf mètres surmontés de fils barbelés, surveillée par neuf miradors, la prison semblait inviolable. Mais face à cette forteresse de répression, huit femmes ont refusé de céder à la peur.

Une étincelle de résistance
Tout commence à la fin mai 1982. Les prisonnières préparent une cérémonie discrète pour commémorer l’anniversaire de la mort de dirigeants de l’OMPI. Un acte de mémoire que le régime considérait comme un crime. Mais leur projet est dénoncé. Le 4 juin, les gardes envahissent la cellule, forcent les détenues à rester en plein soleil, et fouillent tout. Certaines sont trouvées en possession de documents et transférées dans un conteneur métallique placé sous le soleil brûlant, sans ventilation, sans eau, et presque sans aération.
Malgré ces conditions inhumaines, leur volonté reste intacte. Atefeh Bahardoust,[1] une jeune femme de 22 ans responsable du réseau clandestin de la prison, lance : « Vous devez fuir. Peu importe le prix. »
Tahereh Mohammadi-Kia lui répond : « On ne les laissera pas nous tuer ainsi. On s’en sortira. Compte sur nous. »
Leur détermination bouleverse un gardien : Ali Bayat. Impressionné par leur dignité et leur courage, il accepte de les aider. Plusieurs d’entre elles sont condamnées à mort. Elles n’ont plus rien à perdre.

Planification de l’impossible
Bayat leur fournit tout : fausses cartes d’identité, tchadors,[2] vêtements, chaussures. Le plan est simple, mais risqué : se déguiser en employées du régime et sortir de la prison au petit matin, quand les familles affluent pour les visites.
Le plan s’exécute en deux temps. Le 3 juillet 1982, Azam Barazesh,[3] condamnée à mort, sort la première. Elle se fait passer pour une membre des Gardiens de la révolution. Un moment critique survient lorsque le gardien veut appeler son supérieur pour vérification. Mais Bayat, avec sang-froid, l’en dissuade : « Ne le réveille pas, Il a interrogé des gens toute la nuit. Il va péter les plombs. Je me porte garant d’elle »
Le subterfuge fonctionne. Azam s’échappe, prend un minibus, rejoint Kermanchah, puis Téhéran, et enfin Ispahan.

L’évasion collective
Le lendemain matin, le 4 juillet, à l’aube, sept autres femmes en tenue de camouflage sortent à leur tour. Il s’agit de : Atefeh Bahardoust, Narges Bahardoust, Marzieh Jalili, Gita Dehghan, Zhaleh Molaeian, Marzieh Eskandari et Tahereh Mohammadi-Kia. Grâce à la foule présente à l’entrée, elles franchissent les portes de la prison sans éveiller de soupçons.
Quand les gardes réalisent que le conteneur est vide, il est trop tard. Ce lieu de punition s’est transformé en tunnel vers la liberté. La panique s’installe. Le régime mobilise toutes ses forces, envoie des agents dans la ville pour les traquer.

Le prix de la résistance
Malheureusement, dans les jours qui suivent, cinq des évadées — Atefeh, Tahereh, Gita, Zhaleh et Marzieh Eskandari — sont arrêtées. Elles subissent de terribles tortures, sans jamais parler. Le 4 août 1982, elles sont exécutées.
Elles refusent qu’on leur bande les yeux. Avant leur mort, elles écrivent leur nom sur un brassard pour qu’on puisse les identifier. Une gardienne présente à l’exécution a été si bouleversée, qu’elle a démissionné de son poste. Elle dira plus tard :
« Zhaleh et Gita souriaient jusqu’au bout. Quand Zhaleh est tombée, encore vivante, elle a pointé sa tempe pour qu’on lui tire là. »
Azam Barazesh, la première évadée, reste libre une année. Mais en 1983, elle est capturée après une descente dans la planque qu’elle utilisait. Le 2 août 1983, elle est exécutée à son tour.
Atefeh Bahardoust, l’architecte du plan, continue de diriger le réseau clandestin jusqu’à sa capture. Elle est pendue avec Azam et une autre militante, Afsaneh Jalali.
Quant à Ali Bayat, il est identifié grâce à une écoute téléphonique, arrêté, torturé, puis exécuté à l’hiver 1982.
Héritage
Cette évasion n’était pas seulement une fuite. C’était un acte de défi, un cri d’espoir lancé au cœur de la répression. Ces huit femmes ont prouvé que, même dans les ténèbres les plus profondes, il est possible de résister.
Elles ne cherchaient pas la gloire, seulement la liberté. Et leur courage continue d’inspirer celles et ceux qui, partout dans le monde, se battent contre l’oppression.
[1] Atefeh Bahardoust était étudiante en droit à l’université de Téhéran. Elle a rejoint l’OMPI après la chute du Shah en 1979. Avant le 20 juin 1981, Atefeh s’est rendue à Kermanshah, où elle a poursuivi ses activités. Elle a joué un rôle clé dans l’organisation des partisans de l’OMPI à Kermanshah et dans la direction des manifestations. Elle avait 21 ans lorsqu’elle a été arrêtée lors d’un raid contre leur base de résistance à Kermanshah en septembre 1981.
[2] Un tchador est un vêtement en forme de demi-cercle qui couvre le corps jusqu’aux pieds et qui est ouvert à l’avant. Il est passé par-dessus la tête et maintenu fermé à l’avant par la personne qui le porte.
[3] Azam Barazesh, âgée de 22 ans au moment de son martyre, a rejoint l’OMPI à l’université de Téhéran en 1979 et a commencé ses activités politiques. Elle avait étudié la littérature persane.