Le Visage Féminisé de la Pauvreté en Iran : Comment les Femmes Portent le Fardeau le Plus Lourd
Ces dernières années, la crise économique en Iran s’est aggravée, et selon les chiffres officiels, plus de 30 % de la population vivait dans la pauvreté à la fin de l’année persane 1403 (mars 2025).
Cependant, d’après des estimations non officielles, environ 80 % de la population en Iran vit sous le seuil de pauvreté et ne peut consommer 2 100 calories par jour ; cela signifie que plus de 72 millions de personnes vivent dans la pauvreté en Iran.
Derrière cette statistique globale se cache pourtant une vérité plus dure et invisible : les femmes en Iran sont de manière disproportionnée touchées par la pauvreté, tant sur le plan économique que social, en raison des inégalités structurelles, de la discrimination juridique et de l’exclusion systémique du marché du travail.
Un rapport du Centre de recherche du Parlement iranien (Majlis) confirme que d’ici 1401 (mars 2023), plus de 32 millions d’Iraniens vivaient sous le seuil de pauvreté absolue. Cette ligne est définie comme l’incapacité à se procurer les nécessités telles que la nourriture, le logement, les soins de santé et l’éducation. Mais les femmes en particulier les cheffes de famille, les femmes rurales et les mères célibataires sont confrontées à des vulnérabilités spécifiques que ces chiffres ne font qu’effleurer.
Insécurité Alimentaire et Santé : Les Femmes Mangent en Dernier
Un article publié sur Bahar News en avril 2025 souligne une forte augmentation de l’insécurité alimentaire : 55 % des ménages urbains ne peuvent pas satisfaire leurs besoins nutritionnels, et l’apport calorique moyen est tombé à 2 540 kcal par jour, dont 60 % proviennent de glucides à faible valeur nutritionnelle. Mais ce fardeau ne touche pas tout le monde de la même manière.
Dans de nombreux foyers iraniens, en particulier dans les environnements plus traditionnels ou ruraux, les femmes sacrifient souvent leur portion alimentaire au profit des enfants ou des membres masculins de la famille.
Selon une note d’information de la Banque mondiale de mars 2023, près de 40 % des femmes économiquement actives en Iran travaillent de manière informelle, ce qui signifie qu’elles n’ont ni protection du travail, ni pension, ni revenu stable. Dans les familles confrontées à la flambée des prix alimentaires – les courses représentant 58 % du salaire minimum en janvier 2025 – les femmes sont généralement les premières à réduire leur consommation.
Cette malnutrition contribue à l’augmentation de maladies qui affectent de manière disproportionnée les femmes.
Le ministère iranien de la Santé a rapporté qu’à la fin de l’année 2023, plus de 7 millions de personnes souffraient de diabète de type 2, et plus de 10 millions étaient atteintes d’hypertension, des pathologies étroitement liées à une mauvaise alimentation. Les femmes sont également plus touchées par l’ostéoporose, en partie à cause de la réduction de la consommation de produits laitiers, due à l’inflation (hausse des prix des produits laitiers de 27 à 43 % rien qu’en 2024).

Dépendance Économique et Inégalités Juridiques
Les ménages dirigés par des femmes — qui représentent désormais plus de 12 % des familles iraniennes — comptent parmi les plus vulnérables. Beaucoup de ces femmes sont veuves ou divorcées, mais d’autres sont de fait à la tête de leur foyer en raison du chômage, de la toxicomanie ou de l’incarcération de leur partenaire masculin. Pourtant, elles se heurtent à des obstacles juridiques et économiques généralisés qui limitent leur autonomie.
Les lois du travail du régime iranien, combinées aux normes patriarcales et à la discrimination systémique, excluent les femmes de nombreux secteurs ou les soumettent à des conditions de travail abusives. Selon la Banque mondiale, l’Iran affiche l’un des taux de participation des femmes à la population active les plus bas du Moyen-Orient — seulement 14 % en 2022. Les femmes qui travaillent gagnent souvent beaucoup moins que les hommes et sont bien plus susceptibles d’exercer des emplois précaires et informels, tels que la couture à domicile, le travail domestique ou la vente ambulante.
Ce manque de revenus se traduit par un accès réduit au logement, aux soins de santé, et même à la sécurité personnelle.
Les centres d’hébergement et refuges pour les femmes fuyant les violences conjugales sont rares, sous-financés, et étroitement surveillés par l’État. De nombreuses femmes restent dans des relations abusives simplement parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers de partir.
Les Inégalités Régionales Amplifient les Disparités de Genre
Dans certaines provinces comme le Sistan-et-Baloutchistan, au sud-est, ainsi que dans le Hormozgan, l’Ilam, et le Kohgiluyeh-et-Boyer-Ahmad, au sud-ouest, les taux de pauvreté dépassent les 60 %. Ces régions, déjà confrontées à des pénuries d’eau, à une infrastructure sous-développée et à un accès limité aux soins, abritent aussi certaines des femmes les plus marginalisées du pays.
Au Sistan-et-Baloutchistan, où près des deux tiers de la population vivent dans la pauvreté, les jeunes filles quittent souvent l’école prématurément en raison de pressions liées à la pauvreté, notamment les mariages précoces. Le taux d’alphabétisation des femmes y est nettement inférieur à la moyenne nationale. Pendant ce temps, dans les centres urbains comme Téhéran, Ispahan (centre de l’Iran) ou Mazandaran (nord du pays), les taux de pauvreté sont inférieurs à 13 %, ce qui reflète de profondes inégalités dans l’accès aux services et aux opportunités.
Les femmes rurales dans ces provinces pauvres n’ont souvent aucun accès à des comptes bancaires, à un emploi formel ou à des droits de propriété. Si leur mari décède ou les abandonne, elles se retrouvent sans protection sociale et doivent compter sur des réseaux informels — ou sur un remariage forcé — pour survivre.

Un Cycle de Dépendance et de Marginalisation
Le régime iranien n’a pas su traiter les dimensions genrées de la pauvreté. Les subventions mensuelles en espèces et la distribution annoncée de bons alimentaires — promises par le président du régime, Massoud Pezeshkian, lors de son sixième mois de mandat — n’ont en rien atténué les pressions de long terme que subissent les femmes.
Ces politiques généralisées ne tiennent pas compte des disparités régionales ni des besoins spécifiques aux femmes. Comme le souligne la Banque mondiale, les paiements en espèces perdent leur efficacité dans un contexte inflationniste et échouent souvent à atteindre les travailleuses informelles, qui sont très nombreuses en Iran.
Amnesty International a également souligné que le travail domestique non rémunéré des femmes reste invisible dans les statistiques nationales et ignoré dans les débats politiques. On attend des femmes qu’elles s’occupent des enfants, des personnes âgées et des malades, alors qu’aucun service public ne les soutient. Ce travail non payé est l’une des principales raisons pour lesquelles les femmes ne peuvent pas accéder à un emploi formel, les rendant ainsi plus dépendantes de leurs proches masculins et plus exposées à la pauvreté lorsque ceux-ci sont absents ou incapables de travailler.

Des Solutions Structurelles, Pas des Slogans
En l’état, le refus du régime iranien d’aborder les causes structurelles de la pauvreté genrée n’est pas simplement de la négligence : c’est un choix délibéré.
En maintenant des lois discriminatoires, en réprimant les voix de la société civile et en niant aux femmes l’accès à l’indépendance économique et juridique, le régime perpétue un système où la pauvreté n’est pas une conséquence malheureuse, mais un outil de contrôle.
Les aides ponctuelles et les promesses creuses ne suffisent pas à démanteler l’inégalité institutionnalisée qui maintient des millions de femmes dans des cycles de précarité. La réalité est que ce régime ne peut pas être réformé : il est lui-même la racine du problème. Seul un changement de gouvernance complet et définitif pourra créer les conditions de justice, d’égalité et de dignité pour les femmes iraniennes.