Malgré une forte augmentation de l’enseignement supérieur parmi les femmes iraniennes au cours des dernières décennies, le régime clérical continue d’entraver leur accès à un emploi réel, renforçant une idéologie de genre dépassée et discriminatoire qui relègue les femmes au rôle de simples femmes au foyer.
Une chercheuse de l’Institut d’études culturelles et civilisationnelles en Iran a ouvertement critiqué la division du travail entre les sexes profondément ancrée dans la société iranienne. (Agence de presse ILNA, 12 mai 2025)
Les avertissements de Khadijeh Keshavarz interviennent dans un contexte de frustration croissante chez les femmes iraniennes — en particulier celles qui possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur — qui se retrouvent systématiquement exclues du marché du travail. Le régime semble avoir instrumentalisé la stagnation économique et ses plateformes officielles pour maintenir un apartheid sexiste systémique, sous couvert de tradition et de culture.
Une éducation sans emploi : une impasse pour les femmes iraniennes
Au cours des trente dernières années, le nombre de femmes iraniennes poursuivant des études supérieures a considérablement augmenté. Depuis le milieu des années 1990, la participation des femmes aux examens d’entrée à l’université a explosé, et les femmes ont commencé à dépasser les hommes dans de nombreux domaines académiques.
Cependant, cette progression dans l’enseignement supérieur ne s’est pas traduite par une inclusion dans l’emploi. Le marché du travail reste largement fermé aux femmes, le régime n’ayant pas mis en place de structures économiques incluant ou bénéficiant aux femmes diplômées de l’université.
Keshavarz a noté que le taux officiel de participation économique — qui comprend les personnes employées et celles en recherche active d’emploi — reste faible pour les femmes. Selon les données de la force de travail de 2021, plus de 40 % des personnes diplômées de l’enseignement supérieur et au chômage étaient des femmes, lesquelles représentaient près de 72 % de ce groupe.
Cet écart saisissant illustre une contradiction brutale : les femmes investissent dans l’université et l’enseignement supérieur, pour se voir ensuite exclues du marché de l’emploi dès l’obtention de leur diplôme.

Rôles de genre promus par l’État : un outil de répression
Plutôt que de répondre à la crise de l’emploi féminin, le régime a renforcé les récits patriarcaux. Le régime iranien impose une idéologie rigide selon laquelle les hommes sont les soutiens de famille et les femmes doivent rester à la maison. Ces messages sont diffusés par les médias d’État, les discours officiels et même les programmes éducatifs, conditionnant les femmes à intérioriser l’inégalité comme une destinée culturelle.
Ce récit n’est pas nouveau. Il s’inscrit dans la continuité de l’ordre sexué promu par l’État depuis la mise en place du régime clérical en 1979, qui a instauré un système profondément répressif.
Le discours du régime a à peine évolué au fil du temps, proposant aujourd’hui l’université comme un moyen pour les femmes de “devenir de meilleures mères” ou “des épouses plus agréables” — une requalification inquiétante de la soumission intellectuelle.
Dans des conversations avec des étudiantes des meilleures universités d’Iran, nombreuses sont celles qui continuent à espérer une progression professionnelle et un épanouissement personnel grâce à l’éducation. Pourtant, leurs espoirs sont de plus en plus brisés par un marché du travail qui ne veut pas de professionnelles femmes et par un gouvernement déterminé à les marginaliser.
La normalisation du chômage féminin dans les zones défavorisées
La situation est particulièrement grave dans les provinces périphériques et les régions marginalisées, comme Ilam à l’ouest de l’Iran ou le Sistan-et-Baloutchistan au sud-est, où les perspectives d’emploi pour les femmes sont pratiquement inexistantes. Dans ces régions, la division sexuée du travail devient encore plus extrême. Les femmes diplômées de l’enseignement supérieur acceptent souvent des postes instables et mal rémunérés — comme l’enseignement sous contrat dans des écoles privées — ou sont contraintes de se tourner vers le secteur informel, comme la vente de rue ou le travail à domicile.
L’agence ILNA a rapporté le cas d’une femme titulaire d’un master en mathématiques de l’université d’Ilam, qui travaille aujourd’hui de manière précaire dans une école privée, sans sécurité d’emploi ni stabilité financière. Face à des perspectives aussi sombres, de nombreuses femmes finissent par intégrer l’idéologie patriarcale du régime comme une forme de survie psychologique, se persuadant que dépendre d’un mari est normal, voire préférable.
Cette dépendance fabriquée n’est pas le fruit d’un hasard culturel ; c’est le résultat d’une politique d’État calculée visant à exclure les femmes de l’économie tout en maintenant un contrôle social. Le régime iranien utilise l’asphyxie économique comme outil de discipline à l’égard des femmes, normalisant le chômage féminin par le renforcement d’un dogme religieux et culturel.

Une génération instruite mais opprimée
L’effondrement général de l’économie iranienne, l’inflation galopante, le chômage massif et l’absence de croissance réelle assombrissent encore davantage le tableau.
La mauvaise gestion du régime, et sa priorité donnée au militarisme et à la répression interne plutôt qu’au développement économique, ont créé une société qui n’a pas de place pour ses citoyens instruits. Même les diplômés masculins des universités sont exclus, le marché favorisant les emplois non qualifiés ou informels, simplement parce que le système est incapable d’absorber les travailleurs qualifiés.
Aujourd’hui, une grande partie des diplômés, hommes et femmes, se retrouvent dans des emplois précaires, mal rémunérés, ou exclus totalement de la population active. On estime que 4 à 5 % des femmes ont disparu des statistiques officielles du travail au cours des deux dernières décennies, non pas parce qu’elles ne travaillent plus, mais parce que leurs emplois précaires et non déclarés ne sont pas comptabilisés. (ILNA, 12 mai 2025)
Et pourtant, dans les domaines de l’art, de la littérature, du sport ou de l’activisme local — y compris au sein d’ONG —, certaines femmes continuent d’agir malgré les obstacles. Cela témoigne de l’émergence d’une nouvelle génération de femmes iraniennes conscientes, éduquées, connectées au monde, qui refusent les mensonges qu’on leur impose. Toutefois, l’accès à ces espaces reste largement limité aux femmes des villes et de la classe moyenne. Pour celles des provinces défavorisées, ces chemins sont souvent inaccessibles.
Pas de réforme sans changement de régime
L’oppression systémique des femmes en Iran dépasse la seule idéologie : elle est inscrite dans les lois, le tissu économique, le message médiatique et le système éducatif. Il ne s’agit pas de politiques imparfaites ou mal appliquées. Il s’agit du résultat logique d’un régime dont la survie dépend du silence imposé à la moitié de la population.
Tant que ce régime clérical ne sera pas démantelé, les femmes iraniennes — aussi instruites, compétentes ou ambitieuses soient-elles — continueront d’être reléguées au rang de citoyennes de seconde zone. Le vrai changement ne pourra advenir qu’avec un changement de régime. D’ici là, les rêves d’autonomie, d’égalité et d’indépendance économique des femmes iraniennes resteront non seulement différés, mais sciemment détruits.
