L’article suivant a été publié par La Dépêche du Midi à l’occasion de la Journée internationale des femmes.
TRIBUNE. Les femmes iraniennes, la force du changement, pionnières d’un combat universel
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, un collectif international signe une tribune en soutien à la lutte des femmes iraniennes pour la liberté. Dominique Attias, présidente du conseil d’administration de la Fondations des avocats européens, Elisabeth Badinter, philosophe, Ingrid Betancourt, autrice, ancienne sénatrice de la Colombie, ou encore Laurence Tubiana, présidente de la Fondation européenne pour le climat figurent parmi les signataires de ce texte, que La Dépêche du Midi publie ci-dessous.
Le courage surprenant des femmes iraniennes durant le soulèvement de 2022-2023 est resté à jamais gravé dans nos mémoires. Dans son rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la mission internationale indépendante dénonçait « les nombreuses violations graves des droits humains et des crimes de droit international commis contre les femmes et les filles en République islamique d’Iran ».
L’émancipation des Iraniennes, n’était-elle qu’une utopie éphémère, étouffée par cette cruelle répression, des meurtres, des tortures et des viols, comme le dénonce ce rapport ? C’est en effet la conclusion qu’il faudrait tirer, si l’on réduit cette grande épopée à l’image fantasmée que nous reflètent certains médias poussés par une frange de la diaspora iranienne nostalgique du passé. Nous serions en effet déçues d’observer la réalité iranienne depuis un prisme réducteur. L’enjeu serait-il donc que l’Iranienne se révolte juste pour se débarrasser d’un voile ? Aveuglé par un tel reflet, on risque de ne pas voir les femmes voilées, ni les hommes marcher aux côtés de ces jeunes filles courageuses. De ne pas remarquer ces femmes baloutches, vêtues de leurs habits traditionnels et portant le tchador, scander : « Avec ou sans voile, nous marchons vers le renversement ! »
Le mouvement de 2022, né après l’assassinat tragique de la jeune kurde Jina (Mahsa) Amini, a révélé bien plus qu’un rejet de la théocratie, Il a manifesté l’aspiration à un projet d’une société nouvelle. Ce fut une démonstration unique de diversité, de sororité et de fraternité, de pluralité et d’une laïcité qui transcende nos propres modèles, souvent fragiles face à l’intégrisme misogyne et sauvage ainsi qu’à un certain machisme qui s’obstine à persister. Les Iraniennes nous disent : « Marchons vers le renversement » d’un régime despotique religieux, d’une culture misogyne, certes, mais afin de garantir l’égalité. Ce qui n’est certainement pas le rejet de la riche culture et civilisation iranienne.
Il serait réducteur de voir dans ce soulèvement un simple désir d’« occidentalisation », tout comme il le serait de penser que la révolution antimonarchique de 1979 n’était qu’un rejet de l’Occident. En y regardant de plus près nous découvrons que, d’une révolution à l’autre, le peuple iranien rejette le despotisme sous toutes ses formes et aspire à la liberté. « À bas le tyran, qu’il soit Chah ou Mollah » lançaient les manifestant(e) s.
Le régime iranien a tenté de freiner l’ascension des femmes en imposant le voile obligatoire, mais aussi en les privant de l’accès à certaines branches d’études universitaires, à des fonctions comme la magistrature, ou encore aux postes de décision politique. Pourtant, dès le début du siècle dernier, les femmes iraniennes ont été à l’avant-garde de l’émancipation. Rappelons ces Iraniennes qui, en 1911, ont pris d’assaut le parlement (Majlis), dissimulant des pistolets sous leur tchador pour empêcher l’adoption d’une loi colonialiste. Les Iraniennes n’ont pas attendu 2022 pour défier le régime le plus misogyne de l’histoire récente, mais dès mars 1979, avec les premières manifestations massives contre le voile obligatoire.
La jeune génération continue de renier les mollahs avec une audace remarquable : des filles marchent en plein jour les cheveux au vent, bravant les patrouilles de la chasteté (Gashte Ershad). Mais aussi, la nuit tombée, cette jeunesse organisée dans des unités de résistance, entraînée souvent par de courageuses femmes, se faufile dans les rues pour semer la peur dans les rangs des gardiens de la révolution, en brûlant les symboles du régime. Ces femmes résistent dans les prisons à l’instar de Maryam Akbari Monfared, mère de trois filles, condamnée à 17 ans de prison sans un seul jour de permission.
Les femmes iraniennes, pionnières d’un combat universel
Face à l’impossibilité de tout changement au sein de ce régime dictatorial et misogyne, les femmes iraniennes ont compris qu’elles devaient prendre en main le leadership de la Résistance. Françoise Héritier l’avait qualifié d’« une expérience humaine étonnante que nous ne pouvons que contempler, admirer et soutenir, voire dont nous devons nous inspirer ». Des milliers de jeunes filles et de femmes, de tous âges, ont été exécutées pour avoir osé défier la dictature. En 1988, presque toutes les femmes incarcérées du mouvement des Moudjahidine du peuple, prônant la démocratie et la séparation de la religion et de l’État, ont été massacrées dans les prisons.
C’est une lutte pour l’égalité, pour reconquérir la souveraineté populaire, pour défendre les droits humains fondamentaux, pour l’abolition de la peine de mort, et pour l’instauration d’une république libre et laïque. Tout ceci est inscrit dans le plan en dix points présenté par Maryam Radjavi, la figure de proue de cette résistance. À l’occasion de la journée internationale des femmes en présence de nombreuses femmes influentes du monde entier, elle a ainsi résumé ce combat : « Aujourd’hui, les filles insurgées, génératrices de soulèvements, incarnent la volonté des combattantes iraniennes. Avec le slogan « Femmes, Résistance, Liberté », elles s’opposent fermement à toute forme de contrainte. Comme nous l’avons toujours dit : Non au voile imposé, non à la religion imposée et non au gouvernement imposé. Oui, les femmes sont la force du changement ». Nous sommes intimement convaincues que les Iraniennes portent, dès aujourd’hui, les germes d’une société nouvelle et plus égalitaire.
Signataires :
Jelena Aparac, ancien membre et présidente-rapporteur du Groupe de travail des Nations Unies sur l’utilisation de mercenaires
Rosalia Arteaga, ancienne présidente de la République de l’Équateur
Dominique Attias, présidente du conseil d’administration de la Fondations des avocats européens
Elisabeth Badinter, philosophe
Alice Benhamou Panetta, Présidente Nationale Fondatrice de VLF (Vivent les femmes)
Ingrid Betancourt, autrice, ancienne sénatrice de la Colombie
Alda M. Facio, Ancienne présidente-rapporteur du Groupe de travail de l’ONU sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles
Ghada Hatem-Gantzer, Praticien hospitalier, Fondatrice de la Maison des femmes
Elisabeth Rabesandratana, avocate auprès de la Cour pénale internationale.
Noanne Tenneson, Directrice Générale de l’Alliance des Avocats pour les Droits de l’Homme (AADH)
Laurence Tubiana, présidente de la Fondation européenne pour le climat
Catherine Wihtol de Wenden, Directrice de recherche CNRS
F. Sème Wallon, Secrétaire national de l’Union Européenne des Femmes*
- * Mme Wallon a signé la déclaration après la publication de cet article dans La Dépêche du Midi.