D’après le mémoire de prison de Hengameh Haj Hassan – Partie 8
Dans les sept premières parties des mémoires de prison de Hengameh Haj Hassan, Face à face avec la Bête, nous avons vu à la fois la cruauté des bourreaux et la résistance inébranlable des prisonnières. Dans cette partie, elle évoque la défiance des mères âgées en prison.
Les mères âgées Moudjahidine
Le harcèlement des mères des Moudjahidine était en soi toute une histoire. Les bourreaux éprouvaient une haine intense pour ces femmes et ne ménageaient aucune cruauté pour les persécuter ou les torturer. En prison, ces mères constituaient un repère moral — surtout lorsque les gardiennes allaient trop loin. À maintes reprises, ces mères protégeaient les jeunes prisonnières, rugissant comme des lionnes pour les défendre.
L’une de ces héroïnes était Mère Mohammadi. Le tristement célèbre bourreau Assadollah Lajevardi nourrissait une rancune personnelle profonde contre elle en raison de son fils, Ebrahim Zakeri, un membre dirigeant des Moudjahidine. Il ne manquait jamais une occasion de l’insulter ou de la maltraiter, mais Mère Mohammadi connaissait bien son passé et l’exposait, l’humiliait devant les autres prisonnières, lui parlant avec une autorité morale indéniable. Pour cette raison, Lajevardi évitait souvent de l’affronter en public.
Elle lui dit un jour :
« Hé Asadollah ! Tu te souviens quand tu étais fier que les Moudjahidine daignent seulement te reconnaître comme un être humain et t’adressent un mot ? Et te voilà maintenant — les massacrant comme Yazid[1] ! Honte à toi ! »
Une fois, alors que Mère Mohammadi accomplissait ses prières, une gardienne nommée Raheleh — apparemment la fille du mollah Mousavi Tabrizi — souleva délibérément de la poussière dans le quartier puis, par pur abus de pouvoir, critiqua la façon dont elle priait. Mère Mohammadi, qui observait déjà son arrogance, termina ses prières, puis saisit soudain sa claquette et se rua sur elle :
« Espèce de fille ignoble et misérable ! Tu crois m’apprendre l’islam ?! »
Raheleh s’enfuit, paniquée, ouvrant la porte de la section et fuyant à l’étage comme un chien la queue entre les jambes, tandis que Mère Mohammadi la poursuivait en lançant des insultes.
En raison de sa défiance constante et de son engagement profond envers la cause des Moudjahidine, Lajevardi la tortura personnellement et la fit exécuter par un peloton d’exécution.
Le même sort attendait Mère Kabiri.[2] Dans leur persécution, la cruauté de Lajevardi envers ces femmes âgées ne connaissait aucune limite. Elles étaient celles qui connaissaient son passé, qui osaient l’exposer, et qui, malgré toutes les tortures, ne renoncèrent jamais à leurs idéaux ni à leur amour pour les Moudjahidine.

La Bête en personne
Je n’avais jamais vu Lajevardi de près auparavant — seulement en photos ou de loin dans la salle de prière d’Evin. Une fois, pour une raison que j’ignore, il entra dans notre section. À chaque cellule où il passait, il crachait quelques insultes et proférait des menaces. Puis il s’arrêta devant notre porte.
Je le vis enfin à seulement quelques pas, et je jure — jamais de ma vie, pas même dans les films, je n’avais vu une créature aussi répugnante. Son apparence était grotesque et effrayante. Lorsqu’il ôta ses lunettes pour les nettoyer, je vis ses yeux — semblables à deux coupes remplies de sang impur. Son regard était indescriptible. Le plus proche que je puisse dire est qu’il ressemblait à une vipère répugnante.
Ma mère m’avait toujours dit : « Aucun être humain n’est laid, mais Dieu reflète l’âme d’une personne dans son visage. » Lajevardi fut l’unique exception de ma vie qui confirma ses paroles. Dans son caractère comme dans son apparence, je ne vis pas un homme, mais un véritable monstre. Peut-être que c’était la manière de Dieu de le démasquer.
[1] Yazid ibn Mouawiya (647–683 apr. J.-C.) fut le deuxième calife omeyyade. Il est tristement célèbre dans l’histoire de l’islam pour avoir ordonné le meurtre de l’imam Hossein, petit-fils du prophète Mahomet, lors de la bataille de Karbala en 680 apr. J.-C.
Pour de nombreux musulmans, en particulier les chiites, son nom est devenu synonyme de cruauté, de trahison et d’oppression. Traiter quelqu’un de « Yazid » constitue une profonde insulte, l’assimilant à un meurtrier d’innocents.
[2] Massoumeh Shademani, plus connue sous le nom de Mère Kabiri, fut arrêtée en septembre 1981. Malgré de sévères tortures, elle resta ferme dans ses convictions et refusa de coopérer avec le régime. Elle fut exécutée par un peloton d’exécution à Téhéran en 1982.