Une célèbre avocate des droits de l’Homme, Nasrin Sotoudeh, conteste la dépendance du judiciaire iranien. Dans une lettre depuis la prison d’Evin, elle explique la raison de son arrestation et formule ses positions pour informer ses compatriotes.
Mme Sotoudeh a été arrêtée à son domicile le 13 juin 2018 et transférée à la prison d’Evin. Elle est actuellement détenue dans le quartier général des femmes pour ce qu’elle décrit comme une accusation fallacieuse de “propagande anti-régime”, pour avoir en fait défendu les manifestants contre le port obligatoire du voile.
Elle a refusé d’accepter une caution de 132.000€ pour sa libération sous caution, estimant la caution non proportionnelle à l’accusation portée contre elle.
Contestant la dépendance politique du pouvoir judiciaire iranien, Mme Sotoudeh a écrit une lettre ouverte depuis la prison, intitulée “Un mot avec mes compatriotes”, qui a été publiée le 23 juin 2018.
Voici le texte intégral de cette lettre :
Chers compatriotes et militants des droits de l’homme,
Moi, Nasrin Sotoudeh, avocate, j’ai été arrêtée pour la deuxième fois, le 13 juin 2018 et incarcérée à la prison d’Evin. Comme la fois précédente, j’ai été arrêtée cette fois aussi pour avoir pris la défense dans un dossier jugé acceptable par le ministère des Renseignements et le pouvoir judiciaire.
Depuis un an, le pouvoir judiciaire s’est ouvertement et clairement rangé du côté des forces de sécurité, y compris le ministère des Renseignement et le Corps des gardiens de la révolution. Et contrairement à tous les principes concernant la nécessité de l’indépendance de la justice, il a mis en œuvre les ordres émis par lesdits pouvoirs.
Cette fois, cependant, c’est M. Mehdi Paytam, l’inspecteur de la 3ème branche du bureau du procureur de Kachan (centre de l’Iran) qui était chargé de traiter le cas de mon client, Shaparak Shajarizadeh qui s’est constitué partie civile contre ma personne.
L’inspecteur qui était furieux contre ma cliente – pour avoir affiché une photo d’elle-même sans couvrir ses cheveux, sur son compte Instagram – et qui ne s’attendait pas à ce que quelqu’un la défende, s’est fâché contre moi pour ma participation à la défense de sa cause conformément à mes obligations légales.
Il était tellement fou de rage, qu’il a ordonné aux forces de sécurité à la 3ème branche du Bureau du Procureur de Kachan, de me fouiller. Bien sûr, je ne me suis pas laissée faire parce qu’un tel ordre était en infraction avec la loi.
L’inspecteur avait quand même prononcé une peine de détention pour une mesure absolument légale de la part de mon client, mais en fin de compte, il a été contraint d’ordonner sa libération. Il a ensuite retourné sa fureur et sa rage contre moi en déposant une plainte auprès de la Cour de sécurité de la prison d’Evin.
La mesure de l’inspecteur était illégale pour les raisons suivantes :
- 1. L’action de mon client était légale à la vue même de la “mauvaise” loi actuellement en vigueur. Publier des photos d’une femme sans porter le voile n’est en aucun cas en infraction de la loi.
- 2. L’inspecteur avait prononcé la peine la plus sévère possible, c’est-à-dire la détention temporaire, pour une action de mon client qui était légale. Par la suite, pour humilier ma cliente qui avait entrepris une action audacieuse, ils voulaient la forcer à porter le tchador (vêtement noir de la tête aux pieds qui couvre tout le corps d’une femme). Ce n’est qu’après la résistance de ma cliente et mon propre avertissement que cette obligation lui a été retirée.
- 3. Dans une société où les forces de sécurité et de renseignements interviennent pour protéger certains individus qui commettent des viols, les sirènes s’allument immédiatement quand une femme affiche ses photos sans porter le voile.
Ce n’est qu’une partie des dangers auxquels les avocats iraniens sont confrontés quotidiennement, ce qui est ironiquement ignorés par le silence des barreaux.
Néanmoins, je voudrais déclarer haut et fort et souligner une fois de plus la nécessité de respecter les exigences de la pratique du droit, faute de quoi il n’y aurait pas de justice.
La pratique du droit exige des compétences professionnelles, accompagnées d’audace et de courage, surtout que nous vivons sous un régime qui dépasse toutes les frontières. Dans de telles circonstances, il est crucial d’insister sur l’indépendance de l’institution de droit ; en l’absence de cette exigence, tous nos droits seront bafoués comme jamais auparavant, sans que nous puissions identifier les coupables de telles agressions.
Nasrin Sotoudeh
Juin 2018 – Prison d’Evin



















