Mahasti Ganjavi : la voix d’une poétesse persane en avance sur son temps

Mahasti Ganjavi : la voix d’une poétesse persane

Mahasti Ganjavi : la voix d’une poétesse persane

Au cœur du XIIe siècle, à une époque où la voix des femmes était souvent étouffée par la tradition et le patriarcat, une femme osa chanter — non pas à voix basse, mais en vers. Elle s’appelait Mahasti Ganjavi, et bien que l’histoire ait tenté de la dissoudre dans la légende, sa poésie vibre encore aujourd’hui d’esprit, de vie et d’une élégance rebelle.

Originaire de Ganja — une ville historique située dans l’actuel Azerbaïdjan — Mahasti est l’une des premières femmes poètes connues de langue persane. Elle écrivait principalement sous forme de rubāʿī, ou quatrain, un style court et percutant.

Contrairement à ses contemporains masculins, Mahasti Ganjavi écrivait du point de vue d’une femme qui aimait, désirait, questionnait et se rebellait. Sa poésie, tout en s’inscrivant dans la tradition classique, est traversée par une conscience féminine rare, qui remet en question les normes rigides de genre de son époque. Bien que l’on sache peu de choses avec certitude sur sa biographie — un sort courant pour les femmes de son temps — les historiens estiment qu’elle aurait vécu à la cour des Shaddadides ou des Seldjoukides, composant des poèmes à la fois divertissants et provocateurs pour un public aristocratique.

Ce qui rend l’œuvre de Mahasti remarquable, ce n’est pas seulement sa beauté lyrique, mais l’affirmation audacieuse de son autonomie. Dans un monde dominé par les voix masculines, la poésie de Mahasti ose être personnelle. Elle parle du je féminin non comme d’un objet, mais comme d’un sujet. Ses vers naviguent entre désir et dignité, joie et mélancolie, dessinant le portrait d’une femme pleinement consciente de sa propre valeur. Un rubāʿī qui lui est attribué dit :

« Je suis la fille du raisin, l’enfant du vin,

Délivrée des voies du prêcheur divin.

Si tu as entendu parler du vin et de moi,

Sache-le : c’est vrai — ce n’est pas un conte, mais la loi. »

Ce ne sont pas les mots d’une simple poétesse de cour. Ce sont les paroles d’une femme qui comprenait le pouvoir — et qui le revendiquait par la poésie. Au fil des siècles, l’héritage de Mahasti a souvent été éclipsé par ses homologues masculins : Khayyam, Rûmî, Saadi. Et pourtant, son influence est indéniable. Les poétesses ultérieures, des mystiques anonymes de l’époque safavide aux voix modernes comme Forough Farrokhzad, lui doivent une dette silencieuse.

Le courage et la franchise de Mahasti Ganjavi, tout comme le ton résolument défiant de sa poésie, sont saisissants. Ses quatrains révèlent qu’elle a, à un moment de sa vie, connu la prison, les chaînes et la captivité.

En 2006, l’UNESCO a commémoré le 900e anniversaire de la naissance de Mahasti Ganjavi — une reconnaissance tardive, mais méritée, d’une femme qui a défié le silence de son temps. Aujourd’hui, ses rubāʿīyāt sont étudiés, traduits et célébrés dans le monde persanophone et au-delà. Son nom, autrefois presque effacé, retrouve peu à peu sa place dans l’imaginaire culturel — non comme une simple curiosité historique, mais comme une voix intemporelle de résistance, de beauté et de génie poétique.

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