Mehri Hajinejad : l’arrestation et le transfert à la prison d’Evin

Mehri Hajinejad : l’arrestation et le transfert à la prison d’Evin

Extrait du mémorandum « Le dernier rire de Leila » de Mehri Hajinejad

Mehri Hajinejad était adolescente lorsqu’elle a été arrêtée en août 1981 par les agents du régime iranien. Membre du réseau étudiant de l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI/MEK), elle militait depuis 1979 dans les écoles de Téhéran, où elle mobilisait des élèves et diffusait des publications clandestines.

Après son arrestation, elle a passé près de cinq ans derrière les barreaux du régime, Evin, Ghezel Hessar et Gohardasht, où elle a subi de terribles tortures et été témoin du courage de nombreuses prisonnières politiques.

Son livre, Le dernier rire de Leila, relate ces années de captivité et l’esprit indomptable de ses compagnes de détention. Ce qui suit est la première partie de ses mémoires, adaptée pour publication.

Le moment de l’arrestation

C’était l’Aïd al-Fitr, le 2 août 1981. J’avais rendez-vous avec ma supérieure, Vajiheh Ebadi. Elle m’annonça que cette semaine marquerait la dernière phase de notre campagne de recrutement et que notre équipe étudiante allait bientôt être intégrée à une nouvelle structure organisationnelle. J’étais ravie, impatiente de rejoindre cette nouvelle division. Cette semaine-là, nous avons travaillé plus vite et plus intensément que jamais.

Notre prochaine rencontre était fixée au 11 août. La chaleur estivale ce jour-là était suffocante, le genre de chaleur qui rend toute marche dans la ville insupportable. J’avais rendez-vous avec Vajiheh vers 18 heures. J’étais enthousiaste : après lui avoir rendu compte des camarades que j’avais réussi à retrouver, elle allait enfin me relier à la nouvelle structure.

Quand elle arriva, nous avons marché ensemble environ une heure pendant que je lui faisais mon rapport. Puis, elle me dit de rester trois jours dans une maison située rue Karun, au cas où je pourrais retrouver les derniers membres manquants.

La maison, ancien bureau public, était déjà sous surveillance et connue de nombreux étudiants. Je devais y rester éveillée la nuit, prête à évacuer à tout moment. On considérait l’endroit comme une « base rouge », c’est-à-dire un lieu compromis.

Le quartier lui-même était risqué pour moi, car mon lycée s’y trouvait. Après une confrontation récente qui m’avait valu d’être expulsée, ma photo avait circulé parmi les pasdars (Gardiens de la révolution) et les miliciens des komitehs, qui avaient reçu un ordre d’arrestation à mon nom.

Vers 19 heures, j’ai dit au revoir à Vajiheh, pris un taxi en direction de l’ouest, puis suis descendue près de la faculté vétérinaire pour continuer à pied vers la maison de mon amie Akram.

Je n’avais pas marché longtemps lorsque j’ai remarqué des mouvements suspects autour de moi. Plusieurs hommes semblaient me suivre.

J’ai accéléré le pas et gagné la rue principale pour héler une voiture, mais avant que je ne le fasse, l’un d’eux s’est avancé et m’a dit :

« Êtes-vous Mlle Hajinejad ? »

tout en brandissant ma carte d’étudiante.

J’ai nié :

« Non, ce n’est pas moi. »

Le cercle autour de moi s’est resserré. L’homme a ajouté :

« Alors venez juste avec nous pour quelques questions, car cette photo est bien la vôtre. »

Ils m’ont entraînée de force dans le sous-sol de la mosquée Abolfazl.

Tout s’est passé très vite. J’ai dit :

« Je ne comprends pas bien le farsi, faites venir quelqu’un qui parle ma langue. »

Ils ont immédiatement arraché mon sac à main et appelé une femme pour me fouiller.

Lorsqu’elle entra et souleva son tchador, je fus stupéfaite : sous ce soi-disant voile islamique, elle portait une robe rouge sans manches.

Je n’en revenais pas : cette femme faisait partie de celles qui, dans la rue, harcelaient d’autres femmes pour quelques mèches de cheveux découvertes !

Et pourtant, c’est elle qui m’a fouillée.

Je lui ai dit :

« Je jeûne. Rendez-moi mon sac pour que je puisse rompre mon jeûne. »

Dans ce court instant, j’ai déchiré et avalé tous les documents que je possédais, en les enveloppant dans le pain de mon sandwich. Une fois cela fait, je me suis sentie soulagée.

J’ai ensuite commencé à protester :

« Pourquoi suis-je ici ? Ma famille va s’inquiéter ! »

Ils se contentaient de répondre :

« Attends. »

Ils allaient et venaient, échangeant à voix basse. J’ai compris qu’ils attendaient sans doute que les rues se vident avant de me transférer.

De 22 heures à 5 heures du matin, ils m’ont interrogée dans ce sous-sol. Chaque question était ponctuée d’un coup de poing ou de pied.

Je répétais :

« De quel droit me détenez-vous ? Je n’ai rien à voir avec la personne dont vous parlez ! Je viens d’une autre ville ! »

Ils exigeaient une adresse. J’ai répondu :

« Je ne connais pas bien Téhéran, mais venez avec moi, je vous montrerai. »

Mon objectif était de les faire bouger, de tenter une évasion dans l’obscurité. Mais ils ont refusé de me transférer de nuit.

Finalement, ils m’ont dit :

« Dessine l’endroit sur une feuille, nous irons nous-mêmes. »

J’ai tracé un faux plan et ajouté :

« Les rues ont deux noms, vous ne trouverez pas sans moi. »

Ils sont partis, puis revenus une heure plus tard, me battant violemment :

« Tu as menti ! Cette photo, c’est bien toi ! »

À 5 heures du matin, ils m’ont menottée, poussée à l’arrière d’une voiture, et deux d’entre eux se sont assis de chaque côté pendant que nous roulions en direction d’Evin.

Quand la voiture s’est engagée sur la route menant à la prison, ils m’ont recouvert les yeux d’un bandeau.

J’ai décidé sur-le-champ que je sauterais, quoi qu’il arrive.

Quand j’ai senti la voiture accélérer, j’ai penché la tête vers la porte, actionné la poignée avec la bouche et tenté de me jeter dehors.

Le pasdar à côté de moi a paniqué ; le conducteur a perdu le contrôle, et la voiture a fait une embardée avant de s’arrêter sur le bas-côté.

Le garde s’est alors mis à me frapper à coups de poing et de pied, en criant :

« Qu’est-ce que tu essayais de faire ? »

J’ai répliqué :

« Comment savoir qui vous êtes ou où vous m’emmenez ? Je voulais me suicider ! Vous êtes une bande de criminels ! »

Je criais pendant qu’ils me maîtrisaient de nouveau. Puis la voiture reprit la route vers Evin.

À suivre…

Notes :

1.        Komiteh – comités paramilitaires locaux actifs après la révolution iranienne, chargés du contrôle idéologique et social.

2.        Tchador – voile intégral porté par certaines femmes iraniennes, souvent obligatoire dans les institutions publiques.

3.        Base rouge – terme utilisé par les militants clandestins pour désigner un refuge considéré comme compromis ou sous surveillance.

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