Le 25 mai 2018, une prisonnière politique, Atena Daemi, a envoyé une lettre depuis la prison d’Evine en Iran dans laquelle elle condamne la peine de mort et toutes les formes de violence. Elle y aborde également le cas d’un autre prisonnier politique, Ramin Hossein Panahi, et de la persécution de sa famille.
C’est la première lettre qu’elle envoie à l’extérieur de la prison depuis son retour à la prison d’Evine après un éloignement de plusieurs mois dans la sinistre prison de Qarchak en banlieue de Téhéran. Cette prison n resectait pas la séparaton des détenues de droit commun des politiques. C’est grâce à une résistance acharnée qu’Atena et sa codétenue Golrokh Iraee qui a mené une grève de la faim de 81 jours, qu’elles ont obtenu leur retour à Evine.
Voici le texte intégral de cette lettre :
La Révolution n’a atteint aucun de ses objectifs
Il y a quarante et un ans, les manifestants sont descendus dans la rue contre la précarité, la toxicomanie, le fossé entre les casses sociales, la corruption des autorités, etc. Ils ont tenu des réunions secrètes, ils ont distribué sous le manteau des cassettes audio et des pamphlets dans l’obscurité de la nuit, ils ont écrit sur les murs, ils ont tenu des rassemblements, ils ont fait la grève, brisé des fenêtres et mis le feu à des biens publics, des autobus et des banques, ils ont pris des armes, ils ont tué des hauts responsables et ont finalement fait la Révolution de 1979. J’ai étudié tout cela à nouveau pendant les 107 jours où j’étais éloignée à la prison de Qarchak. C’étaient les souvenirs de gens qui avaient parlé fièrement de ce qu’ils avaient fait, et maintenant, beaucoup d’entre eux sont de hauts responsables de ce régime.
Mais aucun des problèmes qui étaient censés être déracinés par ces actions honorables n’a été éliminé ; ils ont plutôt empiré par rapport au passé et ont été complétés par des massacres et des fosses communes.
Au cours des 40 dernières années, les critiques et les protestations de notre peuple en colère et fatigué ont été réprimées de la manière la plus cruelle possible ; ils ont été emprisonnés, exécutés, exilés et ont disparus. Comme l’a fait Daech, ils ont été écrasés par des voitures. Même leurs convictions religieuses ont été sérieusement minées par ce régime islamique. La prison de Qarchak et ses prisonnières représentent une maquette des réalisations de la révolution.
Plus déterminés à s’opposer à toutes les formes de violence
La “vengeance” est ce qu’on voit et entend le plus dans notre pays islamique ! En tant que militant des droits humains et ardente opposante de la peine de mort, je suis contre toute forme de violence.
Cependant, tout au long de mes années d’activités, mes croyances et mes opinions ont été démenties. On m’a dit que selon l’islam et le Coran, il faut appliquer des châtiments. Mais je ne comprends pas pourquoi seules certaines personnes peuvent exercer ce droit. Et ceux qui ont souffert injustement pendant 40 ans, et leurs proches qui ont été tués ou emprisonnés, ne sont pas autorisés à exercer leur droit de représailles contre les détenteurs du pouvoir et encore moins à réclamer leurs propres droits fondamentaux.
Par exemple, en même temps que la constitution d’un nouveau dossier judiciaire à mon encontre et ma condamnation à une peine de prison injuste, ils ont également monté un dossier contre mon père et mes deux sœurs. Puis, après m’avoir battue et insultée, ils m’ont illégalement envoyée à la prison de Qarchak sans aucune raison. Pire encore, ma mère et ma sœur malade ont été sauvagement battues et cette dernière a été privée de sa nuit de noces…
Et pourtant, après tant de douleurs et de souffrances imposées à ma famille uniquement à cause de moi et de mes convictions, mes critiques, mes protestations et mes activités pacifiques, ma famille n’a pas le droit de protester. Les autoités s’attendent à ce que je considère leurs actions comme justes ; ils s’attendent à ce que je renonce à mes propres convictions, que je reste silencieuse et que je me conforme à leurs ordres.
Mais Atena Daemi est aujourd’hui plus déterminée et plus sérieuse que jamais pour lutter pour ses objectifs, malgré les mauvais traitements et les harcèlements.
Le cas de Ramin Hossein-Panahi
Je veux parler de Ramin et de la famille Hossein-Panahi qui, jeunes et vieux, n’ont jamais connu le calme ou la sécurité au cours des 40 dernières années. Huit ans de prison pour le frère aîné emprisonné et un statut judiciaire indéterminé. Puis, pour le faire libérer, un autre frère est tué dans un accident suspect alors qu’il était en route pour lui rendre visite. Au moins deux fois par an, l’un des membres de leur famille est convoqué et arrêté. Leur maison a été attaquée et saccagée à plusieurs reprises pour les terroriser, et ils ne cessent d’être menacés.
Ramin a été témoin de cette oppression depuis son plus jeune âge. Il a compris la vérité comme des milliers d’autres et s’est engagé sur la voie que ses proches ont empruntée ; une voie qui mène à l’indépendance ; une voie dans laquelle des centaines de personnes ont été emprisonnées et exécutées : des camarades comme Farzad Kamangar, Shirin Alam-Houli, Ehsan Fattahian, Shirkou Ma’arefi, et la femme le plus longtemps emprisonnée, Zeinab Jalalian.
En plus de sa cause et de son grand objectif, Ramin a été témoin à maintes reprises de la façon dont ses compatriotes ont été violemment réprimés pour leurs activités pacifiques. Il a vu sa vieille mère dire au procureur, après des arrestations répétées de ses enfants, qu’elle se suiciderait si ses enfants n’étaient pas relâchés.
Il a vu comment chaque membre de sa famille a subi des pressions pour que son autre frère, Amjad, abandonne ses activités de défense des droits humains en Europe. Je peux très bien ressentir ce que ressent Amjad.
Ramin a été témoin de tout cela et il est devenu plus déterminé à atteindre son but. Aujourd’hui, cependant, il est accusé d’être un terroriste et condamné à mort sur la base des mêmes scénarios usés !
Et sa nièce qui avait également assisté à toutes ces situations catastrophiques et qui était elle-même sous les pressions énormes des forces de sécurité, a préféré mourir plutôt que de vivre sous le joug de la tyrannie. Qu’elle repose en paix!
Ceux qui préfèrent mourir plutôt que de capituler
Oui, vous devez savoir que plus vous avez recours à la violence et à la répression, plus il y en a qui préfèrent mourir plutôt que de capituler devant l’oppression, comme les filles de Kobani qui se sont jetées du sommet des hauteurs de Kobani, préférant la mort à la perspective d’être violées par Daech. Maintenant, au lieu de torturer, d’enregistrer des aveux forcés et de prononcer des condamnations à mort, vous devriez penser pourquoi les gens sont devenus des protestataires, des opposants et finalement vos ennemis jurés. Pour savoir pourquoi, vous devez examiner votre propre comportement et vos propres actions.
Personnellement, je rejette toute forme de violence. Je condamne la peine de mort sous quelque prétexte que ce soit pour toute personne ayant des croyances ou des convictions.
Et la prison de Qarchak ! Ce fut une grande expérience, quoiqu’amère, pour moi. C’était en fait une grande université ! Cet éloignement forcé m’a encore plus ouvert les yeux sur une grande partie de la société qui a été oubliée ou dissimulée derrière une fausse propagande.
Je crois que les conditions intolérables de la prison de Qarchak devraient être fortement dénoncées. C’est un camp de concentration, un camp de réhabilitation, et ça s’appelle le ” Centre des repentis“. Il y a beaucoup à dire sur ce “Centre des repentis” où l’on peut trouver tout sauf des repentis. Je dirai bientôt de la vérité.
Je suis reconnaissante à celles qui ont été gentilles avec nous de toutes les façons qu’elles ont pu malgré leur propre agonie et leurs douleurs dans ce sombre donjon. Je répète que je suis humble devant chacune de ces prisonnières, même si elles ont été forcées de nous humilier ou de nous battre !
Je suis également reconnaissante de tous ceux qui se sont souvenus de nous alors que nous étions absentes. En fin de compte, je voudrais exprimer ma gratitude à ma chère famille qui ne m’a pas laissée seule, ne serait-ce qu’un instant, malgré les chocs électriques et les coups de bâtons.
Atena Daemi
25 mai 2018
Prison d’Evine
