Maryam Akbari : C’est à moi et aux autres de mes codétenus de vous accorder l’amnistie !

La prisonnière politique Maryam Akbari-Monfared a récemment envoyé une lettre ouverte du Quartier des femmes de la prison d’Evin de Téhéran, dans laquelle elle répond au juge Abolqassem Salavati, Chef du 15e Chambre du Tribunal de la Révolution islamique, qui l’avait condamné à 15 ans de réclusion.

Le juge avait répondu à un recours de l’époux de Mme Akbari-Monfared sur la possibilité de son relâchement, en affirmant qu’il fallait qu’il « vérifie si son nom figure sur la liste des personnes amnistiables ».

Dans cette lettre ouverte, Maryam Akbari-Monfared a énuméré les crimes commis par les religieux au pouvoir, se déclarant fière de s’être opposée à ce régime. C’est à moi et aux autres de mes codétenus de vous accorder l’amnistie”, a-t-elle notamment écrit. 

 

Voici le texte intégral de cette lettre publiée le 30 mars 2018 :

En 1979, la société iranienne était encore sous l’ambiance révolutionnaire quand arrivait le premier Nowrouz d’après la chute du Chah. Le califat islamique dissimulait encore sa nature tyrannique par un discours démocratique, en organisant le référendum sur le mode du pouvoir qui deviendra la République islamique. Ce discours lui servait de couvert à ses idéaux qui allaient contre le courant de l’Histoire et son antagonisme contre les valeurs humaines. C’est ensuite que les jours sombres se sont suivis l’un après l’autre.

Dans l’histoire des nations, il y a des évènements dont l’impact dure plusieurs générations.

Les évènements des années 1980, la guerre de huit ans entre l’Iran et l’Irak avec ses “soldats jetables” qui étaient ces écoliers envoyés sur les champs de mines pour ouvrir la voie au reste des troupes, et les exécutions des fils et filles les plus courageux d’Iran ont été les premiers acquis de cette République islamique pour le peuple iranien. Ce ne sont pas que les vies humaines qui ont été anéanties. Ce ne sont pas que de longues années qui ont été gâchées. Les infrastructures sociales ont rapidement commencé à se démanteler ; une catastrophe dont les conséquences se font encore sentir des décennies après la fin de la guerre.

Les murs de la répression s’érigeaient l’un après l’autre, l’un plus haut que l’autre. Chaque jour était une nouvelle révélation de la nature totalitaire de la République islamique qui répandait son monopole à tous les secteurs de la vie dans ce pays.

C’est dans cet atmosphère oxydant, sans la moindre lueur de justice et de liberté, qu’on a assisté à un levé de bouclier d’une génération de pionniers qui a refusé de se plier et qui a dénoncé la nature inhumaine et moyenâgeuse de ce régime politique.  Saluons tous les martyrs qui ont donné leur vie pour la liberté : les martyrs des années 1980, ceux du massacre des prisonniers politiques en 1988. Ce sont eux qui ont semé les graines de la protestation et de la résistance dans la société iranienne et ont soulevé le respect de la communauté internationale.

Dans les massacres de 1988, le régime dissimulait les tombes et l’identité des martyrs. Depuis 1980, nier la vérité dans les prisons permettait au pouvoir en place de maintenir le système des tortures et des liquidations. En dehors des prisons les agents du pouvoir en place ont toujours nié l’existence des victimes. Le ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a même nié l’existence des prisonniers politiques et de prisonniers d’opinion, ce que le mouvement en faveur de la justice a toujours démontré, preuves et détails à l’appui. 

Les massacres de 1988 ont jeté les bases d’un cycle infernal des exécutions capitales qui continuent toujours de sévir. La République islamique n’a apporté que carnage, pillage et effusion de sang pour l’Iran et les Iraniens. Ce pouvoir a volé les richesses et les ressources du pays. Les banques et les caisses de retraite ont fait faillite, les gens ont faim et l’économie est paralysée. La brèche a été ouverte à l’intérieur du sérail et les crises intestines s’amplifient de jour en jour.

Au milieu de tant de misères et de malheurs, le clergé au pouvoir a senti venir le début de la fin. L’“amnistie” n’est qu’une démagogie pour tenter d’effacer toutes ces années d’oppression et tous les malheurs qu’ils ont fait subir au peuple iranien.

Ce que j’ai brièvement énuméré est une réponse à Abolqasem Salavati qui, dans un dernier recours de mon époux, dernière enquête, a dit : “Laissez-moi si son nom figure sur la liste des personnes amnistiables”.

Après neuf ans de réclusion, j’ai la tête haute, toute fière et toute heureuse de tous ces moments que j’ai passé derrière les barreaux. Je continuerai de réclamer la justice pour ma sœur et mes frères exécutés.  Je continuerai de réclamer justice pour ma vie que vous avez brisée, pour neuf ans de la vie de mes enfants que vous avez abîmée. Sachez donc que c’est à moi et à mes codétenus qui revient de vous amnistier, pas l’inverse.

Je salue du fond du cœur les martyrs qui sont tombés pour la liberté et les martyrs du soulèvement de décembre et janvier qui sont devenus des symboles de sérénité, d’altruisme et de persévérance.

Maryam Akbari-Monfared

Prison d’Evin

Printemps 2018

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